Campus numérique : retour vers le futur

jeudi 17 octobre 2013
par  sudeducationalsace
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Au printemps 2012, dans l’indifférence quasi-générale, le CA de notre université nous engageait dans un vaste projet intitulé « Campus Numérique des Systèmes Complexes » impliquant plus de 70 universités dans le monde, placé sous le haut patronage de l’UNESCO et du G8. Plusieurs chercheurs éminents de l’UdS dont un ancien prix Nobel participent à ce projet. Dans le procès-verbal, on nous indique simplement qu’il s’agira de « créer un réseau international d’universités sur la science des systèmes complexes pour mutualiser les données, les logiciels, les machines et les matériels pédagogiques ». Ce projet repose sur deux aspects principaux : d’une part un travail approfondi et transdisciplinaire de recherche sur les systèmes complexes, d’autre part une amélioration de l’offre de formation numérique des universités par les biais des fameux MOOCs (massive online open courses) et POEMs (Personalised Open Education for Masses).

A première vue donc, cette prestigieuse entreprise vise à mettre Strasbourg à la page des nouvelles technologies en matière de recherche et d’enseignement. Mais à y regarder de plus près, ce projet contraignant et coûteux nous semble critiquable à bien des égards. D’abord, les assises théoriques des systèmes complexes telles qu’on peut les aborder à travers les quelques documents mis à notre disposition semblent bien fragiles. Sur le site dédié au Campus Numérique des Systèmes Complexes, on lit que « les Systèmes Complexes sont présents partout autour de nous. On peut les définir comme des entités en interaction reconfigurables, structurées sur plusieurs niveaux émergents d’organisation, où le tout ne peut se comprendre sans les parties et les parties sans le tout ». Pour éclairer notre lanterne, on nous explique que les colonies de bactéries, les nuées d’oiseaux, le cerveau humain et même Facebook ou un krach boursier seraient tous des systèmes complexes. Dans le diaporama réalisé par nos collègues pour les Terrasses du Numérique, on trouve également la notion d’« hommilière » grâce à laquelle on pourrait modéliser les comportements sociaux des humains en s’inspirant de l’exemple des fourmis…

De même, alors que l’on nous promet une approche mêlant diverses disciplines, la perspective du comité de pilotage semble être exclusivement celle de la modélisation mathématique des comportements sociaux. Dans la liste des participants, on ne retrouve aucun philosophe, aucun linguiste ni aucun juriste. Pourtant, si les systèmes complexes permettent vraiment de penser des phénomènes aussi divers que les galaxies, les bancs de poisson et les réseaux sociaux, il semble que l’apport d’autres disciplines est indispensable : comment prétendre penser la société en se privant de l’apport de la sociologie, de l’ethnologie ou des sciences de la communication ?
En poussant plus loin, on s’aperçoit que certaines des recherches effectuées dans le domaine des systèmes complexes sont financées quasi exclusivement par des entreprises privées, dont Paraschool qui n’est autre que l’un des plus gros acteurs privés du soutien scolaire et de la formation professionnelle. Le vrai danger qui se cache derrière la façade reluisante du campus numérique est celui d’une transformation en profondeur de nos pratiques d’enseignement. Par l’introduction des MOOCs et des POEMs, l’enseignant change de rôle pour devenir un « coach » et le campus numérique crée un véritable « écosystème éducatif » où les étudiants réalisent la plupart de leur cursus à distance en choisissant le contenu de leur formation parmi une multitude de micro-modules.

De telles modifications sont déjà en cours et peuvent sous certaines conditions constituer un atout pédagogique, mais elles peuvent aussi très rapidement devenir un outil très efficace dans la chasse incessante de notre présidence à la réduction de la masse salariale de l’UdS. Avec un enseignant pour des milliers d’étudiants, les systèmes complexes peuvent très vite s’avérer être des systèmes très rentables, peu importe ce qu’il advient du suivi pédagogique des étudiants. Et même si un cours en ligne permet d’atteindre une masse importante d’étudiants, la culture numérique constitue une barrière sociale qui reproduit les divisions de classe bien plus qu’elle ne les atténue.

Le risque est également que ce type de système nous mène vers un modèle où l’enseignement ne sera plus conçu par des enseignants mais par des ingénieurs pédagogiques : dans l’enseignement comme dans la recherche, les rapports humains ne peuvent se réduire à des simples équations informatiques. L’ingénierie pédagogique est aussi une activité très rentable économiquement et qui impliquera nécessairement une privatisation à plus ou moins grande échelle de l’université. Face à ces dangers, à nous de nous saisir de ce dossier et de nous mobiliser pour que le campus, numérique ou non, continue à fonctionner sur des principes d’égalité sociale et de service public !

La Direction Informatique, parent pauvre du numérique à l’UdS

L’équipe présidentielle qui règne actuellement sur l’UdS se targue de vouloir faire de notre université l’une des pionnières en ce qui concerne le numérique : campus numérique, cours en ligne, nouveau site Internet, tout semble être mis en œuvre pour développer les nouvelles technologies.

Nous vous avions annoncé dans notre premier bulletin d’information que nous disposerions désormais de trois vice-présidents chargés du numérique. Notre source était alors une dépêche de l’AEF. Peu après, cette information était démentie et le vice-président délégué « en charge des partenariats avec les EPST et les collectivités » voyait son titre complété d’un équivoque « ainsi que du numérique ». Les trois personnes que nous pressentions vice-présidents au numérique ont été nommées chargés de mission. Ils ne bénéficieront que de 24 heures de décharge annuelle, soit la plus petite décharge possible pour des chargés de mission.
Le double discours de notre gouvernance se fait jour à nouveau : les annonces publiques qui proclament le prestige de notre université et des projets plus ambitieux les uns que les autres masquent de plus en plus mal les réductions de budget et le manque de moyens accordés, entre autres, au numérique. Et une fois encore, ce seront les personnels de la DI qui en feront les frais…


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