Au coeur du débat sur l’avenir de la recherche

mercredi 7 novembre 2007
par  sudeducationalsace
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Contrairement à ce que prétend le gouvernement, la rigueur budgétaire n’épargne ni la recherche, ni l’enseignement supérieur. Les 3000 postes promis pour 2007, tout comme le milliard annoncé, ne sont pas au rendez-vous.

Les lettres de cadrage budgétaire font état de 1568 postes seulement et le milliard approuvé par le Parlement est réduit à 537 millions qui vont essentiellement bénéficier à l’Agence Nationale pour la Recherche et aux crédits d’impôts à la recherche privée. Les établissements devront à nouveau se serrer la ceinture et faire des coupes dans leur budget. Il est inadmissible que le gouvernement renie les engagements pris dans le Pacte pour la recherche. Cette décision confirme toutes les politiques menées depuis dix ans et prolonge les décrets de 2006 ouvrant largement la porte au privé dans l’orientation de la recherche publique. Une telle orientation met en danger le principe même de la recherche.

Faux et vrais débats sur les recherches fondamentales et appliquées

La recherche fondamentale ne “servirait à rien” et la recherche appliquée “servirait” à la communauté, nous dit-on pour justifier l’accent mis sur cette dernière. Cette dichotomie est totalement inopérante. On peut multiplier les exemples de recherche fondamentale ayant eu des applications importantes dans des domaines où personne ne pensait qu’elle pourrait s’appliquer. Réciproquement, de nombreux problèmes pratiques ou observations empiriques ont amené des chercheurs à justifier théoriquement la justesse de résultats obtenus sur le terrain, ouvrant la porte à de nouveaux objets d’étude. De manière générale (et pour toutes les disciplines, tant les sciences de la nature que les sciences socio-humaines), on peut dire que plus les fondements théoriques de la recherche sont solides et permettent de donner un sens aux faits, plus les applications concrètes sont potentiellement nombreuses et variées.

La “recherche finalisée” se destine uniquement à des résultats immédiatement exploitables. Cette finalité répond aux attentes du financeur, désirant une réponse technique à une question précise et un retour sur investissement rapide. C’est une démarche qui s’apparente plus à l’application de connaissances, voire au transfert de technologie, qu’à la création de connaissances. On passe du domaine du savoir au domaine de la technique, et les chercheurs impliqués deviennent toujours davantage des techniciens, de haut vol sans doute, mais de moins en moins des chercheurs. La recherche ne peut être définie, encore moins orientée, par l’objectif de rentabilité ou de productivité.

Une société qui se construit sur ce principe court à sa perte. Des objectifs scientifiques très finalisés et inscrits dans une durée précise n’en reposent pas moins sur un savoir préalable. Par ses objectifs limités dans le temps, dans les sujets traités et dans les moyens, la recherche finalisée se ferme les autres portes de la connaissance, créant les conditions de son échec à long terme. Elle ne saurait donc constituer notre seul avenir.

Une recherche sans contrainte et sans visée mercantile au sein des établissements publics d’enseignement et de recherche (Epst) n’est pas un caprice de chercheur public, d’enseignant-chercheur ou de doctorant accroché à ses privilèges ; c’est la base même de leur métier. Au même titre que l’éducation scolaire et/ou universitaire, la recherche se doit d’éveiller les consciences, de développer l’esprit critique, la réflexion, la capacité d’adaptation, la souplesse intellectuelle et d’accroître le champ du savoir. La recherche doit avoir pour vocation de servir l’homme avant le profit, le développement humain, moral et sociétal avant les intérêts économiques et privés. C’est pourquoi nous nous opposons aux Conseils d’Orientation Stratégiques régis par des entrepreneurs privés définissant l’orientation que doit prendre l’université à travers la recherche d’une part et les enseignements dispensés d’autre part. Nous revendiquons également l’abandon des Pôles de recherche de l’enseignement supérieur, dits “d’excellence”, dont le parc est majoritairement financé par l’Etat au service d’entreprises privées.

L’échelle de temps entre les chercheurs et les financeurs privés n’est pas la même et cette différence impose aux chercheurs une pression insoutenable avec risques d’erreurs, d’approximation voire de bidouillages des résultats. Il est essentiel de laisser du temps pour la documentation et la construction de protocoles sérieux sur le terrain. C’est aux chercheurs de déterminer, en conscience, les étapes pertinentes de leur recherche, comme c’est à eux d’en décider les fins. Ces fins souvent multiples concernent tant les collectivités que les personnes chercheuses : production de connaissances pour la société, enjeux régionaux ou locaux, cohésion des équipes, formation et soutien des jeunes chercheurs…

Pour une véritable formation professionnalisante et un revenu doctoral d’autonomie

Les lois récentes visent à accentuer la place du privé au cœur du service public, soi disant pour favoriser la professionnalisation de l’université. Si la formation tout au long de la vie, la réforme de l’accueil et du suivi des étudiants, sont indispensables, dire que l’insertion professionnelle est l’un des objectifs majeurs de l’université introduit une grande confusion entre l’acteur et le système. En effet, l’insertion professionnelle est un objectif majeur des personnes (trouver un emploi pour vivre) mais la vocation d’un système de formation ne saurait subordonner l’existence de filières à la capacité du marché du travail à offrir, à court terme, un emploi aux étudiants dans ces filières, offre très changeante suivant les fluctuations de ce marché.

La mission principale de l’Université doit rester de produire et diffuser les savoirs. En conséquence, l’enseignement et la recherche doivent demeurer en symbiose à tous les niveaux des cursus, ce qui n’a jamais empêché l’existence de formations professionnalisantes (travailleurs du social, infirmières, enseignants par les Iufm, etc.). Les Epst doivent, par la transmission d’une culture scientifique et générale la plus vaste et la plus élevée possible, favoriser l’adaptabilité active sur le long terme à une grande diversité de compétences et au changement permanent de ces compétences, non l’ajustement des individus aux besoins immédiats et rapidement obsolètes de l’économie.

Par ailleurs, le système actuel laisse de nombreux doctorants en situation précaire. Selon les derniers chiffres officiels disponibles, sur les 16500 nouveaux doctorants chaque année, 8200 seulement sont financés pour faire leur thèse et 2300 sont salariés (des employés de fast-foods aux enseignants agrégés) ; les autres, soit près de 40%, n’ont aucun revenu. Il faut mettre un terme au travail gratuit ! La précarisation aboutit à l’accroissement de la vulnérabilité et en conséquence à une subordination plus importante face à une hiérarchie qui détient à la fois un pouvoir administratif important, voire démesuré, et quelquefois des certitudes scientifiques inébranlables. Ainsi la précarité professionnelle, dans un système très hiérarchisé, conduit au conformisme et au clientélisme plutôt qu’à la créativité et à l’innovation.

Alors même que de nombreux boursiers, doctorants ou docteurs, Cdd se retrouvent jetés à la rue, les gaspillages ne manquent pas et le syndrome de dépense compulsive dont certains directeurs d’unités semblent pris en fin d’année pour ne pas “perdre” de crédits montre l’absurdité de la gestion actuelle du budget des unités. Au Cnrs, comme dans d’autres établissements, les formations destinées à former à la recherche de financements extérieurs deviennent légion. Cette orientation traduit la dérive de la Recherche publique, les chercheurs passant de plus en plus de temps à se réunir ou à vendre leurs projets. La recherche publique ne peut être guidée par le profit. Pour garantir son indépendance, les laboratoires publics ne doivent pas dépendre de fonds privés, même s’ils peuvent s’en servir ponctuellement, en particulier avec les contrats de recherche. De la même manière, les bourses de doctorat dites Cifre [1], les Chaires d’enseignement-recherche ou les travaux financés par les fondations émanant d’entreprises privées ou d’associations, ne sauraient ni devenir majoritaires, ni exercer, lorsqu’elles existent, la moindre influence sur les contenus de la recherche ou de l’enseignement.

Une politique pour la recherche

Nous demandons une augmentation significative des allocations de recherche (la suppression de la limite d’âge pour leur obtention) et des moyens attribués aux laboratoires ou aux centres de documentation. Chaque doctorant doit avoir la possibilité de percevoir un revenu doctoral d’autonomie qui lui permette d’exercer son travail de recherche en toute sérénité. Parallèlement, toute personne salariée doit continuer à avoir le droit de préparer et de soutenir une thèse.

Outre l’augmentation substantielle du nombre de postes de chercheurs dans les organismes publics de recherche (Cnrs, Inserm, Inra, etc.) et des postes d’enseignants-chercheurs ou d’ingénieurs à l’université, une véritable politique de et pour la recherche doit veiller à garantir l’accès équitable aux postes et aux moyens par la désignation des membres des commissions nationales (comités, Cnu, etc.) ou locales non pas sur des bases électorales ou de nomination ministérielle [2] – encore moins par imposition de représentants des entreprises dans ces instances – mais à partir du tirage au sort et de la rotation des sièges sur la base des chercheurs ou enseignants-chercheurs déjà en poste dans les organismes publics.

Sud éducation Calvados
Sud Recherche Normandie
Sud Etudiant Caen

[1] Conventions Industrielles de Formation par la Recherche (que les associations peuvent également financer).

[2] Décret n° 2006-1334 du 03/11/2006 relatif à la création de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES).

Article extrait du journal de la fédération des syndicats Sud Education, novembre 2007.


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