« La déontologie, ça n’existe pas » : le CNESER se surpasse (et relaxe)

Communiqué du Collectif de Lutte Contre le Harcèlement dans l’Enseignement Supérieur (CLASCHES)
vendredi 28 octobre 2022
par  sudeducationalsace
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Le CLASCHES, Collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur, est une association féministe de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur. Né d’un collectif créé à l’initiative de doctorantes en sciences sociales en 2002, il est devenu une association loi 1901 en février 2003. Son point de départ est un constat toujours valable : le dispositif de prévention et de sanction interne aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche ne permet pas aux victimes d’obtenir cessation des violences et réparation.

Le rôle du CLASCHES est de lever le silence sur la question du harcèlement sexuel, de sensibiliser, de diffuser des informations juridiques, et enfin d’œuvrer à la réforme des institutions universitaires et de recherche. S’il ne peut pas fournir une aide psychologique ni un accompagnement juridique aux victimes, il donne l’information aux victimes et les oriente vers les structures capables de les accompagner au mieux.

En juillet 2019, la section disciplinaire de l’Université Toulouse Jean Jaurès (UT2J) prenait deux sanctions salutaires : l’exclusion définitive de l’enseignement supérieur et de la recherche de deux enseignants d’arts plastiques accusés de harcèlement moral et sexuel. Trois ans plus tard, en juillet 2022, le CNESER disciplinaire vient de prononcer leur relaxe. Par cette décision, le CNESER brille, à nouveau, pour son inaction en matière de violences sexistes et sexuelles.

Les faits étaient pourtant là, portés à la connaissance de l’Université par 17 témoignages d’étudiantes. Les décisions du CNESER parues au Bulletin officiel du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche reprennent noir sur blanc, dans leurs considérants, les constats établis par la section disciplinaire de l’UT2J : « une ambiance de pression avec pour conséquences, auprès des étudiants, un sentiment d’humiliation, d’insécurité et d’anxiété ayant entraîné des situations d’absentéisme, de décrochage, de changement de filière ou d’abandon » ; « des propos à caractère sexuel ou sexistes » mais également « relatifs à l’appartenance ethnique supposée, à la tenue vestimentaire et à la vie personnelle des étudiantes et des étudiants jusque dans leurs aspects les plus intimes » ; « des propos ambigus » mentionnant « le naturisme » ou « la pornographie » ; « des propos sexistes et de nature à porter atteinte à l’image des femmes » ; « des pratiques pédagogiques inadaptées, des faits et propos intrusifs, humiliants, dégradants et discriminants ». Cela sans compter les fautes professionnelles recensées : ces enseignants noteraient selon des « critères opaques », exigeraient de leurs étudiantes une contribution financière pour les modèles posant pendant les examens, en échange d’un bonus sur leur note. Pourtant, « il est apparu aux juges d’appel que rien ne permet de déterminer l’existence de pratiques pédagogiques […] contraires aux exigences déontologiques qu’on attend d’un enseignant ». Quant aux « propos intrusifs, insultants, humiliants, dégradants et discriminants », pourtant rapportés de manière circonstanciée et précise par ces 17 témoignages, le CNESER estime qu’il n’y en a aucune preuve.

Le CNESER préfère proposer une interprétation alternative des faits, qui coïncide malheureusement avec le stéréotype sexiste selon lequel les femmes accusent souvent à tort pour se venger. Il suggère une instrumentalisation de la part du syndicat étudiant auquel appartenait l’une des victimes. Ce syndicat aurait poursuivi une vendetta purement politique à l’égard des deux enseignants parce qu’ils auraient été défavorables, en 2018, au blocage de l’UT2J lors du mouvement étudiant contre le projet de fusion des universités toulousaines. Cependant, sur les 17 personnes ayant témoigné, la seule étudiante syndiquée ne l’était pas quand les témoignages ont commencé à affluer et n’a jamais impliqué son organisation dans cette affaire. En outre, ni la défense ni le CNESER n’ont pu fournir de preuve de la position anti-blocage des deux enseignants en question. Les victimes n’en avaient pas connaissance, comme elles l’ont indiqué au CNESER qui n’a pas voulu les croire. On peut aussi rappeler que l’immense majorité des enseignants de l’UT2J étaient opposés au blocage en 2018 ; pourtant, seuls deux d’entre eux ont, l’année suivante, été accusés par plusieurs étudiantes de propos et comportements sexistes et à connotation sexuelle. Le CNESER ne donne d’ailleurs aucun élément factuel pour étayer son hypothèse de la vengeance politique et syndicale.

À l’inverse, le CNESER n’évoque jamais les communiqués injurieux, les intimidations (y compris physiques) et les tentatives d’interférence avec le processus disciplinaire menées par le syndicat professionnel ayant pris la défense des deux enseignants. Par l’intermédiaire d’adhérentes et sympathisantes, ce dernier s’est permis, à l’époque de la première instruction, d’utiliser les coordonnées personnelles des étudiantes d’arts plastiques pour les inciter à témoigner en faveur des deux professeurs incriminés. Il a aussi tenté de faire taire des témoins, enseignantes-chercheures et administratifves, en les menaçant de représailles professionnelles sur leur carrière s’ils et elles venaient à parler. De qui se moque-t-on lorsque l’on tente de faire croire qu’une présidence d’Université aurait sacrifié deux enseignants pour acheter la paix sociale avec un syndicat étudiant d’extrême-gauche, mais que l’on occulte les manœuvres de protection syndicales des deux enseignants mis en cause et l’ambiance délétère qu’elles ont produite, à l’époque, au sein du département d’arts plastiques ? À propos de conflits d’intérêts et de connivences syndicales, d’aucuns pourront d’ailleurs s’interroger sur l’agressivité particulière dont a fait preuve l’un des membres du CNESER, élu de cette même centrale syndicale, lors de l’audition en séance de plusieurs victimes.

Quant à la régularité des procédures, tandis que le CNESER accuse la section disciplinaire de l’UT2J d’avoir mené une enquête exclusivement à charge, on peut à l’inverse se demander pourquoi, sur un dossier initial qui comportait 17 témoignages de victimes et témoins dont 7 non-anonymes, seules 3 personnes ont été convoquées lors de la procédure d’appel. Qui plus est, ces auditions se sont déroulées dans un climat de mépris pour les victimes qui ont été particulièrement malmenées. Résolu à ne pas les croire sur parole, le CNESER les a ainsi soumises à une version des faits qui frôlait parfois le complotisme. Par exemple, l’une des victimes convoquées, étudiante en L2 au moment des faits, avait cessé de venir en cours parce que, comme elle en avait informé la direction du département, elle avait la « boule au ventre » et « angoissait rien qu’à l’idée » ; elle avait, en effet, subi trois heures de récriminations virulentes, devant toutes les élèves de son groupe, pour avoir pris la défense d’une camarade de classe en situation de précarité économique, obligée de jongler entre ses horaires de cours et de travail. Pourtant, d’après un membre du CNESER, c’était bien plutôt parce que cette étudiante avait eu une position différente de celle de l’enseignant en question l’année précédente, lors du blocage de l’Université, qu’elle aurait provoqué un conflit avec son enseignant pendant ce cours.

Les victimes ont aussi dû répondre à des questions absurdes, les poussant parfois aux larmes. Ainsi, au sujet d’une performance artistique où l’un des deux enseignants aurait placé nonchalamment et sans prévenir une pomme sur les fesses d’une étudiante qui faisait le poirier, tout en commentant « là, c’est pas mal », la témoin auditionnée par le CNESER s’est vu demander comment la pomme avait pu tenir en place, et a même dû mimer le geste, puisque dans un poirier exécuté dans les règles de l’art, aucun objet ne devrait pouvoir reposer sur des fesses bien tendues, à la verticale. Finalement, une professeure des universités convoquée, directrice d’UFR, s’est même vu dire qu’à l’université, « la déontologie, ça n’exist[ait] pas ». Au moment de rédiger sa décision, le CNESER en a tout de même découvert l’existence, pour conclure qu’elle avait été parfaitement respectée par les deux enseignants incriminés. Quant à l’enquête à décharge dont il se targue, soulignons que parmi les témoins qu’il a entendus lors de la formation de jugement et favorables aux deux accusés, aucune n’avait assisté au moindre de leur cours. Ils et elles étaient donc bien incapables d’assurer au CNESER que les faits précis portés à son attention et à celle de la section disciplinaire de l’UT2J n’étaient pas survenus. Rappelons qu’aucune étudiante présente aux cours des deux enseignants mis en cause n’a nié la réalité de ces faits !

Le plus étonnant, enfin, est le ton que revêt la décision du CNESER. Le CLASCHES constate à regret que l’instance véhicule des lieux communs de l’antiféminisme en retranscrivant, mot pour mot, les stratégies de défense des avocates pénalistes des enseignants : diffamation, commérages, atteinte à la présomption d’innocence, chasse à l’homme, « chasse à courre », même !

Contrairement à la section disciplinaire de l’UT2J, dont le travail s’est révélé prudent, minutieux et trans-partisan, comme en témoignent ses procès-verbaux, le CNESER n’a pas su entendre la gravité des faits qui lui étaient rapportés. En balayant les deux sanctions, ce n’est pas uniquement aux victimes que le CNESER cause tort. Il piétine aussi ses pairs, ses propres collègues. Il discrédite le travail de la section disciplinaire locale, qui s’est efforcée de se former, pour la première fois à Toulouse, au sujet des violences sexistes et sexuelles, avant de rendre ses verdicts. Il compromet le bilan de la cellule d’écoute et met à mal l’action des directions de composantes et d’établissements qui auront tâché d’appliquer, de la manière la plus exemplaire qui soit sur ce dossier, les recommandations ministérielles en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Le CNESER juge apparemment bon de s’en affranchir. De quel droit ?

La nomination prochaine d’une magistrate à la tête du CNESER disciplinaire devrait permettre de rappeler quelques principes fondamentaux à ses membres. Cette réforme ne peut pas être isolée : il y a urgence à enclencher un travail de refonte plus large afin que cette instance ne soit plus synonyme d’impunité.

Le CLASCHES se tient à la disposition de l’Université Toulouse Jean Jaurès pour l’assister dans l’éventualité d’un recours devant le Conseil d’État, afin que le travail de la section disciplinaire, qui s’était signalé par une rare exemplarité, ne soit pas réduit à néant.



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