Argentine : un syndicat de luttes, le « Frente Popular Darío Santillán » ?

vendredi 14 septembre 2007
par  sudeducationalsace
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Le “Frente Popular Darío Santillán” [FPDS] est un mouvement social et politique,multisectoriel et autonome.
 

Il est appelé “Front “ parce qu’il apparaît en 2004 à partir de la confluence de plusieurs organisations, majoritairement de travailleurs en chômage, avec des profils idéologiques différents, mais qui étaient d’accord sur l’antimpérialisme, l’anticapitalisme, la construction du pouvoir populaire, et sur la nécessité de suivre un processus d’unité basée sur le développement de pratiques communes et de réflexions partagées.

La dénomination de “Populaire” correspond à la constatation que dans notre pays ( et dans le monde) les grandes transformations produites dans l’économie capitaliste ces dernières décennies, du fait qu’elle génère des “ abandonnés”(caractérisés comme étant des populations excédentaires), des personnes ayant des fonds qui leur sont propres (cuentapropistas) et de petits propriétaires qui sont des salariés déguisés et des professionnels prolétarisés, établissant de nouvelles formes de rapports avec l’exploitation capitaliste et, d’un autre côté, de couches gestionnaires et bureaucratiques qui sans être propriétaires des moyens de production partagent les bénéfices du système, ont entraîné des changements que nous devons considérer lorsque nous tentons de définir le sujet des grandes transformations sociales.

Ce sujet ne peut plus se borner à la classe ouvrière employée officiellement, mais il englobe un ensemble de secteurs sociaux qui sont les victimes directes ou indirectes du capitalisme et qui ne peuvent se réaliser en tant que tels que lorsqu’ils sont les acteurs de changements révolutionnaires. C’est pourquoi nous disons que le sujet est pluriel ou multisectoriel, et nous l’appelons peuple travailleur, ou peuple. Cette reconnaissance de la pluralité du sujet n’attribue pas à tous les secteurs le même poids stratégique, puisque nous reconnaissons des potentialités différentes d’après le lieu occupé dans la production, leurs possibilités d’accumuler des triomphes et de s’organiser, selon leurs dimensions quantitatives et leur expérience de lutte.

Notre organisation s’appelle “ Darío Santillán” en hommage à un camarade qui participait à une des organisations fondatrices du “Frente” : “Movimiento de Trabajadores Desocupados de Lanus” [Mouvement de travailleurs chômeurs de Lanus - banlieue de Buenos Aires -], membre du MTD [Mouvement de travailleurs chômeurs] Anibal Verón, assassiné avec un autre camarade piquetero, Maximiliano Kosteki, le 26 juin 2002, durant une journée de lutte se déroulant à Puente Pueyrredon, à Avellaneda, province de Buenos Aires. Darío Santillán, assassiné à 21 ans, était et est un réfèrent très important synthétisant les valeurs humaines et la conscience politique des jeunes générations qui, à partir d’un engagement concret en faveur des revendications les plus urgentes de notre peuple, lutte dans l’intention d’impulser des changements révolutionnaires.

Nous disons que le FPDS es un mouvement, parce que les différents profils idéologiques du départ ont fini par se synthétiser en une identité commune, qui reconnaît des nuances et des discussions ouvertes, mais pas au point d’encourager la formation de tendances. Le processus de synthèse politique a été soutenu par une volonté collective d’éviter de discuter “depuis les bibliothèques”, et de s’efforcer de discuter toujours à partir des inconnues qui se présentant dans nos pratiques, la conjoncture politique du pays et notre propre construction.

Nous disons que c’est un mouvement social et politique, parce que pour nous les luttes sociales et politiques ne sont pas des compartiments étanches. Nous pensons que toute lutte sociale est politique et qu’il n’y a pas de lutte politique sans contenu social. Nous donnons une valeur à a la conscience politique et à la conscience de classe en tant que processus, et non en tant qu’objets introduits artificiellement du dehors par des intellectuels éclairés.

Nous disons que notre mouvement est multisectoriel parce que s’il est certain qu’à l’origine, et dans le développement actuel il y a un poids décisif des organisations territoriales de travailleurs chômeurs, on a également développé des regroupements étudiants, des noyaux syndicaux, des groupes territoriaux avec une participation des habitants, des expressions culturelles, des espaces de jeunes et de femmes.

Nous disons que notre mouvement est autonome, parce que la revendication de l’autonomie fait partie de notre expérience et de notre conception. ”De notre expérience”, parce que nos mouvements de chômeurs se sont forgés en luttant pour notre droit à exiger et à décider du travail à réaliser avec les plans d’emplois, conquis durant les premières coupures de route, qui avaient été brutalement réprimés, et en nous imposant contre l’appareil politique clientélaire des partis des gouvernants (Justicialisme et Alianza [péronistes et centre gauche]). ”De notre conception” parce que nous nous définissons comme autonomes de l’Etat, des partis, des Eglises et des Centrales syndicales. Parce que nous nous sentons les héritiers de toutes les expériences historiques ayant vocation de promouvoir l’autonomie politique des travailleurs. Parce que la ligne principale de notre politique est générée dans les Assemblées de base.

Notre situation dans le contexte historique national

Le FPDS appartient à la génération d’organisations jeunes de l’Argentine, dont les origines se sont forgées à la fin des années 90, qui ont eu une grande activité publique et médiatique avec les événements de 2001, et qui se sont consolidées sur le plan organisationnel lors des années suivantes.

Il est essentiellement formé d’hommes et de femmes jeunes (la moyenne d’âge ne dépasse pas les 30 ans) provenant de la lutte sociale et en majorité sans être passés par des structures partidaires.

Cependant un regard sur l’histoire nous permet de trouver des vases communicants avec les générations des années 60 et 70, influencées par la figure du Che, les processus anticoloniaux en Afrique, l’expérience chinoise, la guerre du Vietnam et le mai français. Sur le plan local les références les plus fortes sont l’expérience anarcho-syndicaliste du débuts du XX siècle ; le 17 octobre 45 et la “résistance péroniste” (1955-1969) ; les insurrections locales (1969-1973) commencées par le ”Cordobazo” ; les coordinations entre usines (1974-1975) et les luttes de résistance à la dictature, symbolisée par les Mères de place de Mai (1976-1983).

La circonstance que dans notre pays l’expérience de lutte des travailleurs a été très profonde et prolongée, explique en partie que des mouvements territoriaux aient pu rapidement être organisés pour réunir les travailleurs en chômage.

Quels sont nos principes organisationnels

Nos principes d’organisation sont : la démocratie de base, la formation, la lutte, et l’autogestion.

Nous comprenons la démocratie de base comme l’exercice démocratique de la prise de décisions. Nous la mettons en application dans les assemblées qui se font périodiquement dans tous les regroupements de base, dans les réunions plénières sectorielles (étudiantes, territoriales, syndicales, etc.), et dans les réunions plénières nationales où les délégués mandatés par la base, prennent consensuellement les décisions politiques générales.

Nous comprenons la formation comme la réflexion collective sur notre pratique, et l’incorporation de connaissances surgies d’autres expériences de lutte émancipatrices. Au niveau de l’initiation nous utilisons la méthodologíe de l’éducation populaire, pour un dialogue de savoirs.

Nous comprenons la lutte non seulement comme la forme la plus adaptée pour exiger nos revendications et pour avancer dans la transformation de la société, mais aussi comme une partie constituant notre formation politique. Dans notre expérience nous avons utilisé l’action directe comme principale forme de lutte : coupures de routes et de rues, mobilisations, occupations, "escraches" [dénonciations publiques de coupables de méfaits].

Nous comprenons l’autogestion comme la libre décision sur le destin de ressources générées par notre propre travail, acquises solidairement, expropriés aux entreprises capitalistes ou arrachées à l’Etat. En ce qui concerne le développement de nos propres travaux productifs (vergers, fermes, charpenteries, forges, ateliers textiles et de sérigraphie, laiterie, boulangeries, etc.) nous sommes pour la création de réseaux de consommateurs et la construction d’une économie alternative pensée comme un apport à la résistance au système capitaliste.

Notre conception du changement social

Nous comprenons le changement social comme une pratique à promouvoir quotidiennement et un objectif dans le temps. Nous pensons notre construction sociale et politique comme préfigurative d’une nouvelle société. C’est pourquoi nous avons comme désir de promouvoir ici et maintenant des valeurs nouvelles, de nouveaux rapports sociaux et de travail, de nouvelles formes de lutte et d’action politiques, de nouvelles formes de relation entre femmes et hommes, entre enfants et parents, de nouvelles manifestations culturelles. Par rapport à l’objectif dans le temps, nous lui donnons de socialisme en l’assimilant à l’idée de créer une société sans exploiteurs, mais décidant que ce seront les peuples eux-mêmes qui seront les protagonistes de ces changements, qui donneront un contenu à ces idées.

Notre position vis-à-vis du gouvernement de Kirchner.

Il est assez difficile d’expliquer les politiques adoptées par le gouvernement de Kirchner, sans faire référence à la grande rébellion populaire argentine des 19 et 20 décembre 2001, qui renversa le gouvernement néo libéral de De la Rua (Alianza) et remit en question la représentativité de l’ensemble de la classe politique, de la consigne de “Que se vayan todos”.

Les forces populaires qui ont eu la capacité suffisante de faire tomber un gouvernement élu constitutionnellement, n’ont pas été capables de capitaliser la crise politique, au contraire du parti justicialiste, un des principaux visés par le questionnement issu de la rébellion populaire, ayant gouverné le pays dans la période 1989-1999, et qui en 2001 gouvernait dans les principales provinces.

Kirchner, qui pendant 23 ans a été membre et protagoniste du parti justicialiste, acteur principal de la politique néo libérale en Argentine, et de plus à deux reprises gouverneur de la province de Santa Cruz, lobbyiste pour la privatisation de la entreprise pétrolière étatique (YPF), fait appel à son passé politique lointain de participation tiède aux mobilisations de la décennie 1970 (quelque chose comme dire qu’il a participé à certaine manifestation du mai français), pour se présenter comme un héritier de la révolte populaire, et faire lors des premiers mois de son mandat une série de gestes politiques très bien médiatisés pour donner l’illusion que la classe politique allait produire des changements effectifs favorables a la majorité populaire.

Les changements qui certes ont eu lieu et commencent avec la brutale dévaluation effectuée à l’époque de son prédécesseur, Eduardo Duhalde, entrent dans le modèle d’accumulation capitaliste. Le modèle d’accumulation défendu dans la vision financière dominante durant les gouvernements de Menem et De La Rua ont été remplacés par un modèle où dominent l’exploitation capitaliste de ressources naturelles et humaines, avec un profil exportateur. Ce modèle apparaissant avec une estimation [boursière] très importante des matières premières exportées par l’Argentine - soja, pétrole - a permis de maintenir un taux de croissance économique très fort, financé par des capitaux locaux revenus de l’étranger dans le pays, et par la surexploitation de la main d’œuvre, où les travailleurs au noir (informels) représentent 43 %.

La politique de droits de l’homme encouragée par le gouvernement centrée sur la réouverture de procès aux militaires génocidaires, et accompagnée d’une campagne active d’intégration de référents et d’organisations, est entachée par le fait qu’en Argentine 20 % de la population vit avec moins de 30 dollars par mois, ce qui prolonge le génocide économique dénoncé du temps de Menem et De la Rua.

Le “Frente Popular Darío Santillán” est parmi les opposants à la politique du gouvernement de Kirchner et en conséquence nous devons en payer le prix pour notre autonomie : chaque conquête obtenue, chaque droit acquis doit être accompagné de lutte. Dans ces batailles nous avons gagné et perdu. Notre succès le plus important a été la condamnation à perpétuité des exécutants matériels du crime contre Kosteki et Santillán, qui fut soutenu par une lutte qui dura presque trois ans, que inclut entre autres mesures de couper tous les mois, le 26, le Puente Avellaneda, lieu où se déroula le massacre.

Notre extension territoriale

Le “Frente Popular Darío Santillán“ regroupe environ 3000 femmes et hommes de notre peuple répartis dans les provinces de Buenos Aires, Santa Fe, Rio Negro, Formosa, Tucuman et la ville autonome de Buenos Aires. Le plus fort développement se situe dans la zone sud de la ceinture de logements qui entourent la capitale, connus comme étant la banlieue de Buenos Aires.

Nous sommes présents dans14 districts.

Notre projection politique locale

Le FPDS participe au Mouvement Intersyndical Classiste qui est un regroupement syndical de la gauche, à travers ses groupes syndicaux “La Fragua [la forge]“ et “Herramientas [outils] “.

Le FPDS partage des tâches de formation et de diffusion politique avec le Mouvement National paysan indigène.

Le “Frente Popular Darío Santillán” a lancé la constitution d’un nouvel espace politique qui a tenu deux rencontres nationales et où participent d’autres expressions proches de Santa Fe, Salta, Jujuy, Córdoba, etc.. Le but de cet espace est de promouvoir un nouveau regroupement politique avec des groupes proches qui va mûrir avec le temps grâce à l’accumulation de confiances, des pratiques communes et la réflexion en commun.

Notre positionnement international

La dimension locale du FPDS, et notre situation de non alignement sur aucune organisation internationale, n’invalide pas le fait que nous considérons très important d’avoir des liens avec des expériences et d’autres pays, en Amérique Latine et dans le monde. L’Amérique Latine est en train de vivre un moment très spécial de poussée des mouvements sociaux et certains processus politiques qu’il nous semble nécessaire de différencier. Par exemple, même si tous font partie du MERCOSUR, nous ne trouvons pas comparables les gouvernements de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Chili, de la Bolivie et du Venezuela. Le signe différentiel dans tous ces cas nous semble être l’incidence qu’ils ont et peuvent avoir sur le futur des mouvements sociaux autonomes et l’évolution de la politique des décisions des gouvernements. Dans le cas du Brésil, de l’Argentine, de l’Uruguay et du Chili, vu l’attitude des gouvernements envers les mouvements sociaux autonomes, nous ne voyons pas de possibilités de dépassement d’un néo libéralisme “progressiste”. Nous définissons les processus du Venezuela et de la Bolivie de processus ouverts et par conséquent ils nous suggèrent des attentes.

Nos rapports internationaux ne se font pas avec les gouvernements, mais avec des mouvements sociaux et y politiques.

Nous ne connaissons pas trop la réalité de l’Europe (sauf l’Espagne), l’Amérique du Nord, l’Afrique et l’Asie. Nous aspirons à développer des rapports avec des organisations proches.

13 septembre 2007. Extrait du site fédéral de Sud Education :

http://www.sudeducation.org/article...

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