Rapport Darcos : le système éducatif du 21e siècle

lundi 10 septembre 2007
par  sudeducationalsace
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Dans un rapport daté du 10 mars 2007, Xavier Darcos, qui n’était pas encore ministre de l’éducation nationale mais ancien haut fonctionnaire de ce ministère, donnait ses propositions sur l’éducation à Nicolas Sarkozy, qui n’était alors que le candidat à l’élection présidentielle.

Sous le titre de Propositions sur la situation morale et matérielle des professeurs en France , qui laisserait penser à de simples mesures techniques sur le statut d’enseignant, se dessine en fait un vaste projet libéral de transformation de l’éducation, suite logique et attendue des différentes réformes éducatives récentes (socle commun, loi Fillon, décret De Robien…).

Adapter l’école aux besoins d’une économie mondialisée...
Ce rapport Darcos préconise différentes réformes qui, dans leur cohérence d’ensemble, veulent répondre au besoin de transformation du système éducatif nécessaire à la compétitivité de la France dans une économie mondialisée et dans la nouvelle division internationale du travail qu’elle suppose. L’objectif affiché du temps de la loi Fillon, d’amener 70% d’une classe d’âge au niveau BTS démontre bien comment doit se transformer la population active française. La bourgeoisie française n’entend pas se laisser dominer par ses concurrentes américaines ou européennes et espère garder à l’économie française un rôle de direction, en conservant sur son territoire les fonctions d’encadrement et certaines productions nécessitant de hautes compétences techniques. Les autres productions devant être délocalisées et dirigées depuis des sièges sociaux français.
Pour cela, la population active française a besoin d’un grand nombre de cadres techniques ou techniciens supérieurs, donc de personnes formées au niveau BTS. Il reste naturellement toujours un nombre incompressible mais très réduit d’ouvrier-e-s et employé-e-s réduits aux tâches d’exécutions difficilement délocalisables ou pour lesquels il sera difficile de faire venir assez de main d’œuvre immigrée en France. A cela, il faut ajouter qu’il faudra aussi "produire" un nombre réduit de cadres supérieurs. Ces besoins de main d’œuvre nécessitent une profonde mutation du système éducatif, à l’encontre de la logique de "démocratisation" scolaire des années 60-70 et du collège dit "unique".
C’est d’ailleurs sur le secondaire que porte l’essentiel du rapport Darcos qui, bien que devant traiter de la situation "des professeurs", ignore quasiment les professeurs des écoles et presque autant les enseignant-e-s du supérieur.

... en désamorçant les résistances
Une grande crainte de la droite, et de l’ensemble de la bourgeoisie française qui appelle ces mutations éducatives de ses vœux, est de se heurter une fois de plus à un mouvement vaste des enseignants et enseignantes, éventuellement allié-e-s aux parents d’élèves. Pour éviter un tel mouvement, un certain nombre de précautions particulières visant à désamorcer toute velléité de contestation émaillent le rapport, à commencer par l’aspect souvent purement technique des propositions de Xavier Darcos, qui donnent l’impression qu’elles ne concernent que la corporation des enseignants et ses réglementations bureaucratiques. D’autre part, le contexte est clairement favorable : "Pour des raisons démographiques, la moitié des professeurs devra être remplacée dans les dix années qui viennent » et un « climat de lassitude, de démobilisation et d’aigreur règne au sein des diverses fédérations d’enseignants, tous bords confondus. Elles considèrent que le métier s’est dégradé […]" (1). C’est donc le moment pour passer en force, profiter de l’arrivée de jeunes auxquels on peut imposer des contraintes nouvelles et profiter de la démobilisation syndicale, les fédérations étant prêtes à accepter certaines réformes qui revalorisent le métier. C’est justement ce qui pousse Xavier Darcos à proposer une abrogation (effective en juin 2007) des décrets De Robien, tout en reprenant certaines de ses mesures (bivalence (2), flexibilité géographique des enseignant-e-s…) au prétexte qu’il ne faut pas "corriger – à la marge et unilatéralement – les services des enseignants, en les pénalisant tous à la fois, mais remettre à plat les circulaires qui règlent les obligations de service et de redessiner le métier de professeur aujourd’hui".
Il y a donc deux grands aspects à comprendre dans ce rapport : tout d’abord, en filigrane, l’adaptation du système éducatif aux besoins de formation, et ensuite, la redéfinition du métier d’enseignant, pour s’insérer dans ce système éducatif et éviter les contestations.

La formation des élèves : le tri sélectif !
Pour répondre aux besoins de formations expliqués plus haut, le rapport Darcos est extrêmement clair et radical sur la fin du collège unique. Il préconise tout simplement la fin du "dogme de la classe hétérogène, facteur d’inégalité des chances [qui] doit être abandonné au profit d’une conception plus réaliste du groupe-classe". En quoi une classe prétendument homogène serait plus réaliste et moins dogmatique (3) ? Xavier Darcos s’explique clairement. Il s’agit d’évacuer "les élèves en difficulté qui empêchent le fonctionnement normal". Serait-ce donc la difficulté scolaire qui pose problème, ou les comportements indisciplinés ? S’il est vrai que les deux sont souvent liés, il ne faut pas les confondre et surtout pas confondre les réponses que l’on veut y apporter. En effet, le rapport préconise une solution aussi radicale qu’inadaptée face aux difficultés scolaires : "Il est possible de faire une gradation des élèves en difficulté, selon trois catégories. Un certain nombre de jeunes sont prédélinquants, voire délinquants dès le collège". Ainsi donc, la difficulté scolaire est directement liée à la délinquance, et pire encore, le fait d’être en difficulté scolaire permet de prévoir le passage à la délinquance ! À partir de là, la suite logique s’impose : "La justice, plus encore que l’éducation nationale, doit être en première ligne avec des structures spécialisées, type internats ou classes relais qu’il est malheureusement nécessaire de développer sans complexe […]". La solution est donc simpliste au possible, et peut se résumer ainsi : l’élève en difficulté scolaire qui devient indiscipliné commettra forcément des délits, c’est donc à la justice de s’en occuper dans des internats ou classes relais dans lesquelles l’éducation nationale interviendra. L’enseignement qui y sera dispensé sera "centré sur les éléments fondamentaux". Il s’agit donc d’une éducation au rabais pour des jeunes destinés à occuper les fonctions les plus dévalorisées dans l’appareil de production, mais que l’on encadre sévèrement car ce que l’on veut avant tout leur inculquer, c’est la discipline et le respect de l’autorité.

Une volonté de "normalisation" pédagogique
Mais à part ces "prédélinquants", rien n’est dit sur les deux autres catégories. De façon générale, il est vrai que le rapport insiste à plusieurs reprises sur l’aspect autoritaire de la pédagogie qui doit être appliquée, rappelant que l’éducation doit reposer sur "une relation verticale d’autorité et de savoir". On ajoute d’ailleurs que dans l’éducation des années passées, "on s’est trop fié à l’autonomie de l’enfant". Exit donc les pédagogies actives, qui visent à développer liberté et responsabilité des jeunes. Il y a bien une constante pour tous les élèves, l’inculcation d’un respect de l’autorité et la limitation de tout apprentissage de la liberté. Mais il y a aussi un enseignement qui s’annonce différencié pour les élèves, selon la place que l’on veut leur assigner dans la production. C’est cet enseignement différencié qui est préconisé dans d’autres parties du rapport.

"L’autonomie" comme vecteur de la déréglementation...
L’autre grand aspect du rapport, qui peut paraître très technique mais a une grande importance pour ce tri des élèves, est l’autonomie des établissements. Cette autonomie se justifierait par un constat d’échec de l’injection massive de moyens, venus d’en haut, pour diminuer le nombre d’élèves par classe notamment. Or, cet échec est d’autant plus grave que ces injections massives de moyens n’ont jamais eu lieu ! Peu importe, l’essentiel est de justifier le fait que chaque établissement doit pouvoir décider lui-même de ce qu’il fait avec une partie des moyens qui lui sont attribués, et doit pouvoir trouver lui-même des moyens supplémentaires. On comprend alors quel peut être le rôle joué par les collectivités territoriales ou les entreprises qui financeraient tel ou tel établissement, en attendant naturellement des retours sur investissement, c’est-à-dire, une mains d’œuvre formée selon ses désirs. Mais cela créerait aussi une forte inégalité entre certains établissements, un renforcement de l’attractivité de certains collèges ou lycées, et une relégation d’autres. A cela s’ajoute la proposition de suppression ou assouplissement de la carte scolaire et la nécessité financière de diminuer l’offre d’option au lycée (jugée comme l’une des plus étendues d’Europe) en concentrant ces options sur quelques établissements seulement. Les établissements sont donc mis en concurrence et seront évalués dans le cadre d’un "contrat d’objectif" passé entre le chef d’établissement et le recteur, sur la seule base de leur taux de réussite aux examens. Quelle conséquence aura cette concurrence sur les élèves ?

... et des inégalités scolaires
Chaque chef d’établissement pourra décider de l’attribution d’une partie "des horaires, de la composition des classes, de l’application des programmes", selon les besoins de l’établissement, en s’adaptant au "contexte local", c’est-à-dire du public. Pour caricaturer (à peine), les élèves issus des classes populaires auront donc des heures de technologies en plus et les établissements très recherchés pour les enfants de bourgeois profiteront donc d’un grand nombre d’options de langues, et d’heures supplémentaires dans les matières générales. Bien sûr cette concurrence et cette sélection d’élèves existent déjà dans le système actuel, mais l’objectif affiché est de l’accentuer et d’en finir définitivement avec "le souci d’uniformité peut-être louable mais certainement dépassé" pour aboutir à un système dualiste à l’anglo-saxonne (pôles d’excellence contre éducation au rabais) sans compter pour cela sur le seul développement des écoles privées (qui est par ailleurs encouragé par des transferts réguliers de crédits depuis des années). La sélections des élèves, sous couvert "d’égalité des chances" (4), se faisant directement (selon leur quartier d’habitation) ou indirectement (selon les difficultés scolaires, bien plus importantes dans les classes populaires) sur critères sociaux, on transforme les classes déshéritées en classes "déméritantes" et on légitime ainsi la hiérarchie sociale selon un processus déjà bien connu. Pour cela, les gouvernements ont besoin que les enseignant-e-s jouent pleinement leur rôle de cadre de la reproduction de la main d’œuvre. Ce statut a été quelque peu mis à mal par la démocratisation relative de l’école et la paupérisation, relative aussi, des enseignants (5).

(à suivre...)

Renaud Violet (Bas-Rhin)

(1) Toutes les citations son issues du rapport Darcos.
(2) Bivalence : enseignement dans deux matières (sans forcément une formation dans ces deux matières), que Gilles de Robien avait imposé aux nou-velles-veaux enseignant-e-s dans son décret de février 2007, abrogé par Nicolas Sarkozy en juin.
(3) L’expérience a démontré l’existence d’une "constante morbide" quelle que soit la composition de la classe : même avec les meilleurs élèves sélectionnés dans différentes classes, rassemblés en une classe dite "homogène", se dessine très vite une division entre trois groupes : les meilleurs, les élèves en difficulté, le "ventre mou". La classe homogène ne peut donc pas exister ! Ou alors, il faut clairement dire que l’on veut homogénéiser socialement les élèves d’une classe…
(4) L’égalité des chances est un concept particulièrement intéressant puisqu’il s’oppose à l’égalité réelle en mettant l’accent sur le fonctionnement d’une institution (ici l’école) sans prendre en compte les inégalités de départ, mais en légitimant les inégalités à l’arrivée. C’est en quelque sorte une machine de "blanchiment" des inégalités sociales.
(5) Xavier Darcos conteste d’ailleurs l’enquête de chercheurs de Paris I qui démontrent la baisse de 20% du pouvoir d’achat des profs en 20 ans. Pour lui, ce calcul n’est pas valable car il prend en compte principalement le point d’indice et pas le vieillissement des profs (et donc le poids de l’ancienneté dans les salaires) ou les quelques primes accordées (souvent en échange d’un travail supplémentaire non rémunéré).

(article publié dans la revue "L’Emancipation syndicale et pédagogique", n°1 de septembre 2007.

http://www.emancipation.fr/


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