Le «  devoir  » de réserve : intox  ?

jeudi 9 décembre 2021
par  sudeducationalsace
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Fiche analyse Le devoir de réserve

1) Les tentatives de réduire les agentes de l’Éducation nationale à des exécutantes bâillonnées sont constantes que ce soit au niveau des écoles et des établissements, par des chef∙fes encouragé∙es dans la culture de l’autoritarisme, ou au niveau du ministère et de ses assauts législatifs.

Il y avait déjà eu, en 2016, lors des travaux parlementaires sur le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires modifiant le statut des fonctionnaires, une tentative, par Alain Vasselle, sénateur socialiste, de limiter la liberté d’expression des agent∙es de l’État en introduisant le devoir de réserve dans la loi. L’assaut avait alors été repoussé. Blanquer a tenté en 2019 une autre offensive, avec le projet de loi sur l’école de la confiance en première lecture et en particulier l’article 1 qu’il avait ainsi rédigé :
« Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. »

Le Conseil d’État a invalidé ce projet d’article et le passage au Sénat a décidé de la forme actuelle : « L’engagement et l’exemplarité des personnels de l’Éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire. » Aujourd’hui, l’application de cette loi est encore pleine d’inconnues.

2) L’obligation ou devoir de réserve ne figure pas dans la loi, qui consacre au contraire la liberté d’expression du fonctionnaire...

La loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, dispose, en son article 6 que « la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires ». Le premier corollaire de la liberté d’opinion est la liberté d’expression, y compris syndicale, comme le confirment de façon constante les interprétations du Conseil d’État...
...en revanche, c’est par la jurisprudence, d’importance moindre que la loi (mais sur laquelle les magistrates fondent leurs décisions favorables ou non), que le devoir de réserve est défini, à plusieurs reprises depuis 1935.

D’après le Conseil d’État (n°97189, 28 juillet 1993), le devoir de réserve « s’impose à tout agent public ». Mais ça ne veut pas dire tout et n’importe quoi : ce qui ressort constamment de ces jurisprudences, c’est l’appréciation de la position du fonctionnaire dans la hiérarchie. En d’autres termes, c’est le fait d’être nommé à un poste politiquement exposé qui conduit le juge à considérer que la personne a manqué à son devoir de réserve. Seul∙es sont astreint∙es au véritable « devoir de réserve » les fonctionnaires placé∙es au sommet de la hiérarchie, à des postes politiquement sensibles comme le Recteur, le Dasen, etc. (ou les fonctionnaires travaillant directement avec elles et eux), tandis que, pour celles et ceux qui sont au plus bas de l’échelle hiérarchique, l’obligation jurisprudentielle est moins stricte.
La liberté d’expression de l’agent public est donc réelle, mais limitée. Pour tordre le cou aux confusions, SUD éducation rappelle que la jurisprudence des tribunaux administratifs ne sanctionne que les écarts de langage ou de comportement à l’égard du service, de la hiérarchie ou des collègues.

→ L’obligation de réserve, c’est donc la mesure dans l’expression d’une opinion, pas l’interdiction d’émettre une opinion, y compris au sujet des politiques éducatives nationales ou locales.

En particulier, nous pouvons diffuser aux parents d’élèves notre expression écrite par des plis qui doivent être fermés s’ils passent entre les mains d’élèves lectrices∙eurs. Quand cette expression est formée dans le cadre d’un mandat syndical, le juge tolère beaucoup plus la critique, y compris virulente (arrêt Boddaert, Conseil d’État, 1956).

3) Les limites apportées à la liberté d’expression de l’agent public sont précises

• Secret professionnel
Cela concerne les informations dont l’agent a connaissance dans le cadre de ses fonctions relatives à la santé, au comportement, à la situation familiale d’une personne, etc. Cette obligation de certains fonctionnaires vise à protéger les intérêts matériels et moraux usagers et usagères du service public. Les assistant⋅es sociales, les infirmier⋅ères et médecins scolaires sont ainsi concerné⋅es par le secret professionnel.

• Neutralité et laïcité du service public
Cela signifie que par leur expression face aux élèves, en service, les personnels ne peuvent laisser penser qu’ils favoriseront une partie des usager∙ères plutôt qu’une autre.
L’obligation de laïcité n’est rien d’autre que la déclinaison de l’obligation de neutralité au le plan religieux. C’est la raison pour laquelle les agent⋅es ne portent pas de signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions.

• Discrétion professionnelle
La discrétion professionnelle interdit de divulguer en dehors du cadre professionnel (dans l’équipe pédagogique, avec la hiérarchie) la situation personnelle et administrative, en un mot la vie privée des collègues et surtout des usagers et usagères. C’est tout ! La discrétion professionnelle n’interdit évidemment en aucun cas la critique contre l’administration, ou la communication sur le service et les conditions de travail, ou même l’exécution du budget…

• Respect des limites légales à la liberté d’expression
Les principes posés par la loi de 1881 sur la liberté de la presse sont toujours en vigueur, ses dispositions sont transposées dans le Code pénal. Il est prohibé d’injurier ou de diffamer.

4) Toujours donner la priorité au collectif
Il convient enfin de rappeler que dans toutes les situations d’expression publique, c’est le caractère collectif, le plus massif possible, afin de faire pencher le rapport de force de notre côté, qui nous prémunit le mieux des velléités de l’administration de faire jouer contre nous cette obligation de réserve au détriment de notre liberté d’expression. Dans le cas où elle nous en menace, le réflexe est de contacter le syndicat SUD éducation de votre département.


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