Oaxaca, note d’information n°24 (novembre 2007)

dimanche 25 novembre 2007
par  sudeducationalsace
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Pardon aux fidèles lecteurs de ces notes d’avoir quelque temps déserté l’hémisphère nord. Revoici, donc, des nouvelles d’Oaxaca et du Mexique. Au moment d’envoyer cette note est parvenu un bulletin de l’APPO rendant compte du Conseil du 11 novembre : on en parlera dans une prochaine note n° 25, c’est promis.

Répression le jour des Morts

On se souvient que la fusion de traditions européennes et indiennes fait du jour des Morts une grande fête au Mexique. On se souvient aussi qu’en 2006, au milieu de l’opération de reconquête militaro-policière de l’Etat d’Oaxaca, la bataille acharnée du jour des Morts s’était close sur une belle victoire populaire, empêchant la Police fédérale préventive (PFP) de pénétrer dans l’université pour faire taire Radio Universidad (ou, si on ne s’en souvient pas, voir note n°6). Cela faisait deux bonnes raisons pour l’APPO de fêter dignement le jour des Morts 2007.

Le 2 novembre, dès six heures et demie du matin, des membres et sympathisants de l’APPO étaient donc venus réinstaller une barricade symbolique au fameux carrefour de Cinco Señores, et sacrifier à une tradition culturelle locale en créant un tapete géant en l’honneur des 27 morts du camp populaire. Il s’agit d’un tableau réalisé à base de sable et de terre de différentes couleurs, de pétales de fleurs, et de bougies, beaucoup de bougies.

À sept heures, ont fait irruption des policiers en camions, camionnettes et motos, visiblement animés des plus mauvaises intentions. Ils ont commencé à tabasser à tout va et à arrêter les gens qui se trouvaient là, appistes ou pas. Pour faire bonne mesure, ils ont arrêté également un reporter de radio et un photographe de presse. Comme, bien sûr, les gens n’attendaient pas sagement qu’on les arrête, ils n’ont pas hésité à poursuivre des fuyards jusque dans les maisons où on leur avait donné refuge, et cela sans mandat d’aucune sorte. Ensuite, avec des bulldozers, ils ont détruit l’amorce de barricade et le début de tapete.

L’APPO n’est pas restée inerte, évidemment. Tout au long de la matinée, des gens se sont regroupés devant le local de la 22e section du Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE). Là s’est décidée une manif en direction de Cinco Señores pour ne pas laisser la rue à la flicaille un jour pareil (non mais… !) et exiger la libération des 20 personnes arrêtées. Entre temps, une délégation comprenant des membres du Conseil de l’APPO et des avocats du Comité de libération 25 novembre était reçue par le sous-secrétaire général du gouvernement (de l’Etat), qui promettait la libération des 20, « pour montrer la bonne volonté du gouvernement, et parce qu’ils ne se sont rendus coupables que de fautes administratives ».

Les libérés ont été chaudement accueillis par la manif, aux cris — déjà classiques — de « Épaule contre épaule, coude à coude, l’APPO, l’APPO, l’APPO c’est nous tous ! ». Un autre slogan était là pour commémorer la Victoire du jour des Morts : « ¡Dos de noviembre, batalla campal, le dimos en la madre a la fuerza federal ! », soit à peu près, pour garder la rime et l’esprit : « Deux novembre, bataille de rue, les fédéraux l’ont eu dans le cul ! ».

Tout est bien qui finit bien ? Un conseil, ne dites pas cela à ceux qui ont été tabassés, arrêtés et encore tabassés. N’allez pas croire non plus que les débordements répressifs de la matinée n’étaient qu’une initiative intempestive d’un groupe de policiers incontrôlés. Tout cela fait partie de la stratégie du malgouverneur Ulises Ruiz Ortiz (URO). D’un côté, le côté grand public, faire croire à un « retour à la normale », en permettant même un certain nombre de manifestations. De l’autre, le message subliminal à destination des membres et sympathisants de l’APPO : à tout moment la répression la plus féroce peut se déchaîner à nouveau. Cela n’empêche pas tout, la preuve, le mouvement vit toujours et agit toujours, mais cela décourage les moins déterminés d’y participer.

Monstrueuses inondations néolibérales au Tabasco

De très fortes pluies se sont produites fin octobre sur tout le sud du Mexique. Mais, affirment bien des spécialistes, ce n’est pas exceptionnel en cette saison. Ces pluies ont provoqué dans l’Etat de Tabasco, au nord du Chiapas, des inondations de l’ampleur d’une véritable catastrophe nationale. Les barrages nombreux en amont de la capitale de l’Etat Villahermosa, aussi bien pour la régulation des eaux du fleuve Grijalva que pour la production hydroélectrique, n’ont pas réussi à retenir le flot qui a inondé à peu près toute la ville, et les trois quarts de l’Etat. Bilan : plus d’un million de sinistrés, perte de la totalité des récoltes, dégâts parfois irréparables aux infrastructures de l’Etat…

Le président FeCal (Felipe Calderón) a aussitôt invoqué la faute à pas de chance, plus précisément le réchauffement climatique, version moderne du châtiment divin, et aussi, tant qu’il y était, les phases de la lune. Or, au fil des jours, on découvre toute une chaîne d’incurie, de corruption et de négligences de la part des « trois niveaux de gouvernement », comme on dit au Mexique : le niveau fédéral, celui de l’Etat local et celui de la municipalité. Sans entrer dans tous les détails, on peut en donner quelques exemples. Au niveau municipal, on n’a pas hésité à urbaniser des zones autrefois marécageuses et qu’on sait pertinemment toujours inondables ; les lectrices et lecteurs auront deviné que ce sont les quartiers les plus populaires qu’on a bâti dans ces zones à risque, et que cela a rapporté gros à certaines entreprises et certains élus. Au niveau de l’Etat de Tabasco, il a bien fallu, à chaud, se rendre à l’évidence : il n’avait été élaboré auparavant aucun plan de protection civile, et les fortes sommes versées à l’Etat par la compagnie pétrolière encore nationale Pemex, pour réaliser des travaux de prévention, ont disparu sans laisser de traces, et moins encore de travaux. Enfin, c’est au niveau fédéral, responsable exclusif des travaux hydrauliques et de la production d’électricité selon les articles 27 et 28 de la constitution, que se situe sans doute la plus grosse part de culpabilité. Plusieurs semaines avant la catastrophe, les autorités avaient été prévenues par des ingénieurs de la Commission Fédérale d’Électricité (CFE) de hauts risques d’inondation du fait du niveau trop élevé de l’eau dans l’un au moins des barrages. Elles n’en ont tenu aucun compte. Avec le temps, on découvre que cet état de fait n’est pas dû à une simple négligence : il s’agit de la décision politique de ralentir la production électrique nationale pour favoriser des compagnies privées. Ces compagnies privées ne représentent que 22% de la capacité réelle de production, et pourtant elles vendent à la CFE 31% du total de l’électricité utilisée au Mexique. Or, d’après les spécialistes — dont n’est pas l’auteur de ces lignes ! — cette sous-utilisation des centrales hydroélectriques augmente considérablement les risques de surcharge et de débordement des barrages.

Bref, encore une fois on constate que les catastrophes « naturelles » ne le sont pas tant que ça. La course au profit de quelques-uns joue la plupart du temps un rôle clé dans le malheur de presque tous…

La Gordillo de plus en plus contestée

La patronne du puissant Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) fait l’objet d’un rejet de plus en plus large et de plus en plus profond. Le fait qu’elle ait envoyé récemment, lors d’élections locales, des brigades d’enseignants en congé syndical soutenir de façon musclée tel ou tel candidat — toujours de droite, bien sûr — n’y est sans doute pas pour rien. Mais ce qui a certainement déclenché cette vague de rejet, c’est sa proclamation par les fantoches qui dirigent le syndicat suivant ses directives comme « leader moral ( ! ) à vie ». On sait que dans le SNTE, des sections oppositionnelles, dont celle d’Oaxaca, se sont regroupées dans la Coordination nationale des travailleurs de l’éducation (CNTE). Mais ailleurs, certains enseignants ne supportent tellement plus la tutelle « morale » d’Elba Esther Gordillo qu’ils créent de nouveaux syndicats indépendants, malgré l’énorme difficulté de la chose dans un système fondé au départ sur les syndicats officiels liés au parti-Etat PRI. C’est ce qui vient de se passer à Mexico, où les sections 9, 10 et 11 sont sorties du SNTE pour fonder le Syndicat indépendant des travailleurs de l’éducation de la ville de Mexico (Sitecim). D’autres scissions sont en cours, notamment dans les Etats de Puebla, Tlaxcala et Morelos. Certaines avaient déjà eu lieu au Tabasco et en Basse Californie.

La CNTE, elle, a adopté une autre stratégie. Elle cherche à virer les gordillistes de la direction du SNTE. Il est vrai que cela sera plus difficile si les opposants en sortent…

D’autre part, un récent congrès de chercheurs en sciences de l’éducation, qui s’est clos à Mérida (Yucatán) le 9 novembre dernier, a souligné qu’il était nécessaire de « fixer des limites au SNTE, parce qu’il n’est plus possible que son ingérence en arrive à des niveaux aussi excessifs ; on ne peut pas laisser entre ses mains la décision d’appliquer ou non telle ou telle politique éducative ».

12 novembre 2007.


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