Fichier « Base élèves » : Enseignant conscient, ou auxiliaire de police consentant ?

mercredi 19 septembre 2007
par  sudeducationalsace
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Silencieusement, à l’abri des coups de projecteurs médiatiques, le fichage des élèves du premier degré s’installe. Il a débuté le 13 décembre 2004 avec un échantillon d’écoles de cinq départements. Puis, en 2005, quinze autres départements ont à leur tour démarré l’expérimentation. En 2006, ils étaient vingt-trois de plus, sans compter l’ensemble des académies de Toulouse et de Montpellier. En septembre 2009, ce sera l’ensemble des écoles françaises qui auront à utiliser Base Elèves, un dispositif qui menace gravement les libertés publiques.

Cette mise en place de Base Elèves n’a donné lieu à aucun débat, aucune con-sultation ni aucune information préalables aux parents et aux tuteurs légaux, le ministère de l’Education se gardant bien de communiquer sur ce nouveau système de flicage. Soutenu, par un silence qui en dit long (pas d’avis exprimé à ce jour, ce qui équivaut à un avis favorable par une Cnil largement amputée de ses pouvoirs de réglementation et contrôle), Base Elève se situe dans la droite ligne du rapport Bénisti qui, petit rappel de mémoire, pour prévenir « les comportements déviants », préconisait la détection précoce des troubles comportementaux infantiles dès la crèche. Pour ce faire, le rapport associait délinquance et langue maternelle et proposait une « culture du secret partagé » entre services publics afin de signaler à la police, via le maire, toute « personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles ». Or ce rapport parlementaire a largement inspiré la loi de Prévention de la délinquance de Sarkozy qui, entre autres, conditionne le versement des allocations familiales à un contrôle renforcé de l’assiduité scolaire, et impose le partage du secret professionnel entre policiers, magistrats, enseignants et travailleurs sociaux. Les données de Base Elèves pourront donc :

- être, en partie ou en totalité, accessibles au Maire (loi de la Prévention de la Délinquance). Il y a 36851 communes en France, cela représente beaucoup de personnes extérieures à l’Education nationale. La présence de champs obligatoires comme ceux de la nationalité et du pays de naissance par exemple pose la question du type d’informations qu’il est nécessaire de partager avec les communes et avec l’Inspection académique.

- être croisées avec le fichier CAF pour priver d’allocations familiales les familles des élèves absents. C’est ainsi que le 16 mai 2007, le maire de Castres a inauguré la loi de prévention de la délinquance créant le premier conseil des droits et des devoirs pour les familles, expliquant qu’il pouvait maintenant traquer les élèves absents à l’aide du fichier Base-élèves...

- faciliter le travail de la police pour repérer les familles sans-papiers. Il est bon de rappeler ici que, dès 1940, les nazis ont utilisé le fichier des étrangers, mis en place par le gouvernement français dix ans auparavant, pour traquer les antifascistes allemands, italiens et espagnols réfugiés en France.

Cet outil de fichage sera mis sur le réseau Internet... ce qui facilitera aux gouvernants la centralisation des données et leur partage entre différentes institutions. Bien entendu, comme de nombreux syndicats l’ont écrit, ce système est loin d’être infaillible. C’est ce qui a été démontré en juin 2007, lorsque les fichiers ont pu être accessibles à des individus, dont des journalistes du Canard Enchaîné. C’était prévisible ! Et la Cnil a aussitôt réagit en demandant à être informée des mesures de sécurité prises par le Ministère pour rendre le système infaillible.

Mais là n’est pas la question. Même si Base Elèves était sécurisée, il est éthiquement antidémocratique qu’un tel fichage des enfants soit réalisé. Car nos gouvernants d’aujourd’hui ne nous feront jamais croire qu’avec des données aussi sensibles que l’orientation de l’élève, ses éventuelles difficultés, sa vie sociale et familiale, l’autorité parentale et sa « culture d’origine », ils souhaitent juste un simple outil statistique.

Souvenons nous du fichier STIC qui regroupe des informations sur les 24 à 25 millions de personnes qui, un jour ou l’autre, ont eu affaire à la police (comme témoins, victimes, suspects...). Il a longtemps été clandestin : il existait et était utilisé par la police judiciaire avant 1996. Il a fallu attendre 2001, pour qu’un décret du gouvernement Jospin le régularise comme fichier de police. Puis, la loi de sécurité intérieure (Sarkozy) a autorisé, en 2003, sa consultation dans le cadre d’enquêtes administratives (recrutement...). Enfin, un décret de septembre 2005 a considérablement étendu la possibilité pour l’autorité administrative de consulter le STIC qui joue désormais le rôle d’un casier judiciaire officieux. Et le STIC n’a sans doute pas fini d’évoluer, comme évoluera aussi l’utilisation de la Base Elèves.

Des réactions ont commencé à se faire jour (LDH, FCPE, syndicats enseignants...) dès 2005, mais avec des discordances : certains appelant à la prudence, à la vigilance, et d’autres à ne pas renseigner tous les items. Nous pensons qu’il faut être clair. C’est un appel au boycott total du système qui doit être lancé parallèlement à une demande de son retrait. Il est clair que si une réponse offensive n’est pas immédiatement lancée, le projet finira par voir le jour. Plusieurs leviers sont à actionner :
- le Conseil d’Ecole qui peut prendre une motion s’opposant à la mise en place du fichier dans l’école. La Base Elèves ne concerne pas les seuls directeurs : c’est le problème entier de l’équipe éducative ;
- les parents d’élèves qui, comme les y autorise la loi « Informatique et Libertés », peuvent s’opposer à l’inscription de leur enfant dans le fichier Base Elèves [2] ;
- les directeurs qui, même s’ils risquent de perdre leur fonction, n’en perdront pas leur intégrité. Et puis, ça ferait du bruit s’ils étaient nombreux à subir la sanction ;
- les syndicats enseignants qui doivent appeler clairement au boycott et s’engager au soutien des collègues sanctionnés.

Il est de notre devoir à nous, enseignants, qui par notre fonction, recueillons beaucoup d’informations confidentielles concernant les familles des élèves qui nous sont confiés, de refuser d’apporter une pierre de plus à l’édification d’une société du contrôle dominée par la tentation du tout sécuritaire en développant la mobilisation à l’échelle nationale et en travaillant à construire le rapport de forces nécessaires pour l’arrêt de cette expérimentation.


C’est Alex Türk, président de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, qui le dit :

« Les gens ne se rendent pas compte qu’il y a mise en place autour d’eux d’un certain nombre de technologies, qui peuvent être invasives, d’un certain nombre de textes législatifs et réglementaires, qui, s’ils sont pris isolément, peuvent ne pas inquiéter, mais qui peuvent de manière non visible s’interconnecter et au fond augmenter leur puissance commune. C’est peut-être dans dix ou quinze ans qu’on pourra dire : finalement, tout a changé, notre sphère de liberté s’est réduite, mais on n’en était pas vraiment conscient. »

Alors qu’attend-il pour joindre la parole aux actes en interdisant la mise en place de la Base Elèves ?


Pas de mains, pas de repas !

Palmreader, c’est le système d’identification biométrique expérimenté à l’école primaire de Todholm en Ecosse. Il s’agit d’un scanner, muni d’un émetteur proche infrarouge, qui cartographie le système veineux de la main des enfants avant de leur autoriser l’accès à la cantine. Plus anodin que la détection de l’iris de l’oeil, plus sécurisé que la reconnaissance des empreintes digitales, car impossible à reproduire, ce système développé par Fujitsu Europe et Yarg Biometrics est déjà en service au Japon dans certains distributeurs d’argent. Il n’y a donc techniquement aucune raison d’expérimenter ce dispositif en milieu scolaire, en dehors de la perspective de constituer une banque de données de plus en plus complète concernant la population. Au moment où les contrôles biométriques se multiplient dans nos cantines, comme à Bellac dans le Limousin, la mobilisation des parents et des enseignants est donc cruciale pour s’opposer au fichage généralisé de nos organes dès le plus jeune âge.

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< !—> Articles publiés dans le journal fédéral de Sud Education, Septembre 2007


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